Avec une trentaine de cartes, le livre de 160 pages se présente un peu comme un manuel ; très riche et fouillé puisqu'il explore une dimension essentielle de notre région et ce depuis le XVe siècle. Son intérêt est d'avoir croisé deux approches qui ne se rencontrent que rarement, celle de l'histoire et celle de la biologie-écologie marine. Gérard Le Bouedec est en effet professeur émérite d'histoire maritime et spécialiste de l'histoire des ports et des arsenaux français aux XVIII et XIXe siècles et Yves-Marie Paulet biologiste et écologue marin, enseignant-chercheur à l'Institut universitaire d'études marines (IUEM), rattaché à l'Université de Bretagne Occidentale (UBO). Tous deux ont suffisamment d'expérience pour convoquer d'autres disciplines, de l'économie à la sociologie.
L'histoire éclaire le présent et l'avenir, et l'inverse est aussi vrai tant notre interprétation du passé dépend aussi de ce que nous vivons actuellement. Aussi, dans un contexte de raréfaction des ressources est-il intéressant de se pencher sur la gestion par nos ancêtres de certains produits de la mer, qu'il s'agisse du poisson ou des huîtres qui ont fini par se raréfier. Les poissons étaient 10 fois plus abondants dans les eaux de l'Atlantique nord au début du XXe siècle qu'aujourd'hui, et les pêcheries (systèmes de piégeage des poissons à marée basse) étaient légion. Les huîtres plates ont fait la fortune des populations côtières bretonnes avant de s'épuiser, victimes des méthodes de récolte qui détruisaient leurs habitats. Elles ont certes depuis été remplacées par les huîtres creuses car l'humain est toujours prompt à trouver des solutions à ses problèmes. Pourtant, il semble peu retenir les leçons du passé...
D'autres ressources ont été fort utilisées en Bretagne et on l'a quelque peu oublié (le sel - indispensable pour conserver les aliments - était exploité sur toute la côte, notamment vers Carnac qui lui devrait ses mégalithes). Quant aux énergies renouvelables marines, elles ne datent pas d'hier : des moulins à marée aux moulins à vent de bord de mer, en passant par l'utilisation de la force des marées pour remonter les estuaires, sans oublier les voiles des bateaux... il n'est donc pas incongru qu'on se tourne de nouveau vers ces sources d'énergie qui sont bel et bien emblématiques de la Bretagne.
Quant au lien terre - mer, on redécouvre dans l'ouvrage à quel point il a toujours été fort en Bretagne ; le maërl, le sable coquiller, le goémon, amendaient les champs ; des cultures qu'on délaissait au printemps pour aller pêcher la sardine, activité lucrative ! Les paysans-pêcheurs n'ont disparu qu'après la Seconde Guerre mondiale quand l'industrie chimique s'en est mêlée. L'agriculture s'est industrialisée et spécialisée, les engrais de synthèse ont remplacé les amendements marins ; le soja importé du Brésil est venu nourrir des animaux destinés à la vente mondiale tout en alimentant les algues vertes sur nos plages... Du côté de la mer, on a soudain perçu la terre comme source de pollution. La rupture était consommée entre les deux mondes.
Pour le chercheur en biologie et écologie marine, c'est pourtant de leur nouveau rapprochement que viendra le salut de ces deux facettes du littoral. Cette compréhension des interactions entre terre et mer fait déjà bouger les lignes. Dans le monde agricole, on perçoit la nécessité de diversifier les productions et de cesser d'épuiser les sols. Dans le monde de la pêche, on commence à "jardiner" la mer en semant par petites touches et en faisant évoluer les méthodes pour un prélèvement moins destructeur. Bref, les artisans du futur apprennent (un peu) du passé.